Dans son cours Perspectives sur le mouvement chrétien mondial, Ralph Winter a découpé la période des missions protestantes en trois ères et deux transitions. Selon lui, le focus mis sur chaque ère est différent :
- La première ère (annoncée par l’engagement de William Carey) se concentre sur les cotes.
- La deuxième ère (entamée par Hudson Taylor) décide de pénétrer plus en avant dans les terres.
- La troisième ère (Cameron Townsend et MacGavran) fait ressortir l’idée de la mission vers les peuples ou de groupes ethniques.
Ce découpage peut surprendre de prime abord. Il soulève deux questions auxquelles nous tenterons de répondre.
Les ethnies étaient déjà dans l’esprit des premiers missionnaires protestants
Même si la troisième ère s’est concentrée sur les ethnies, des personnes comme Carey et Taylor se sont également concentrées sur les ethnies. Ils traduisaient dans les langues locales et s’efforçaient d’atteindre des groupes spécifiques, car Carey traduisait dans de nombreuses langues.
Pour répondre à cette question, il faut bien comprendre que ces trois périodes ne sont pas un dogme absolu, comme si elles correspondaient exactement au plan divin. C’est la réflexion d’un fin observateur qui tente de comprendre comment on a envisagé l’obéissance au mandat que Jésus a donné à son Église.
Nous pourrions même affirmer qu’il n’y a eu que deux périodes : aller partout, puis aller vers tous les peuples. R. Winter a commencé par s’intéresser aux plans d’action des différentes sociétés missionnaires, mais dans les années 1990, il s’est penché sur le phénomène des transitions et a conclu à deux transitions. Il fallait donc formuler trois périodes, mais le plus important, c’est de se concentrer sur le phénomène des transitions : chaque fois, les agences pensaient “On a fait le boulot, rentrons à la maison”. Et là, on découvrait qu’il y avait plus et il fallait renforcer ou revitaliser les Églises existantes et lancer de nouvelles initiatives pour “achever” l’évangélisation mondiale (achever dans le sens que donne le cours Perspectives à ce terme).
Bien entendu, dès le début, les missions étaient bien conscientes qu’il existait plusieurs ethnies. R. Winter serait le premier à dire que W. Carey, et plus tard, les travailleurs de la China Inland Mission et d’autres efforts de la deuxième ère ont été impliqués dans la traduction des langues, et se sont concentrés sur les différentes identités tribales. Mais ce n’est pas là où nous voulons en venir quand nous distinguons les différents focus des missions au fil des trois ères.
Ralph Winter veut dire que, même si on savait qu’il existait différentes ethnies, avec des langues différentes, ce qui est unique dans la troisième ère, c’est que l’on s’est mis à comprendre le mandat missionnaire en termes de peuples (ethnê) plutôt que de pays. On a commencé à réfléchir au grand ordre de mission en termes non plus géographiques, mais ethniques.
Il faut imaginer une zone comme une vallée que l’on va progressivement inonder d’eau. Eu début, on a l’impression que la vallée est plate et que l’eau va tout recouvrir. Puis l’on commence à voir que l’eau contourne certains endroits, qui sont un peu plus élevés. Enfin, on remarque des ilots ne seront pas inondés, car beaucoup trop en hauteur. Au début, on voyait tel ou tel endroit, mais ce n’est qu’en commençant à répandre l’eau que l’on a compris que cet endroit plus en hauteur devait être inondé pour lui-même.
C’est un peu ce qui est arrivé quand les missionnaires ont atteint les cotes, puis sont entrés plus à l’intérieur des pays. Chaque fois, ils ont compris qu’il fallait penser autrement notre obéissance au mandat, et répandre l’eau de la Parole d’une manière plus spécifique. C’est dans ce sens que Winter parle d’aveuglement vis-à-vis des peuples. Il ne dit pas que les premiers missionnaires ignoraient qu’il existait différents peuples. D’où l’idée de faire ressortir cela, dans le cours, en parlant de “focus”.
Les bases d’envoi non occidentales sont récentes
Selon Ralph Winter, à partir de cette troisième ère, les missionnaires partent de partout et plus seulement de bases occidentales. Or, les bases d’envoi non occidentales, la Corée, le Brésil, le Nigeria, ont commencé tardivement, dans les années 60 à 90. L’explosion des missions non occidentales est un phénomène récent. Comment comprendre son affirmation ?
Ralph Winter a pressenti que cette troisième ère serait largement menée par des leaders et des efforts missionnaires non occidentaux. Cela ne signifie pas que la chose s’est faite dès qu’on serait “officiellement” passé à la troisième ère, du jour au lendemain. Encore une fois, les événements de l’histoire sont toujours très complexes et nous avons tendance à les réduire pour les comprendre. Mais on peut dire que cette troisième ère a effectivement été l’ère qui a permis ce genre de travail. Il y a eu des débuts d’œuvre non occidentale avant les années 1960. Par exemple, le Back to Jerusalem Evangelistic Band était en place avant que le parti communiste ne prenne le contrôle de la Chine.
Retenons, en tout cas, que l’on n’est pas en train de décrire un plan divin. Nous essayons de porter un regard humain, limité, sur un ensemble de phénomènes complexes, en admirant la foi de nos prédécesseurs et en tâchant de tirer des leçons et de leur détermination et de leurs failles. Le fait est que nous travaillons aujourd’hui en tant que peuple mondial travaillant ensemble à l’accomplissement de la mission de Dieu.