Pakistan : une enquête dévoile un système d’accusations frauduleuses en matière de blasphème

Au Pakistan, une récente décision de la Haute Cour d’Islamabad ordonne l’ouverture d’une enquête sur un réseau d’accusations de blasphème, mettant en lumière les dérives de la loi et leur instrumentalisation à des fins personnelles. Cette affaire révèle un système complexe où des groupes privés et des fonctionnaires corrompus collaborent pour piéger des individus, souvent jeunes, dans des affaires de blasphème montées de toutes pièces, avec des conséquences désastreuses pour les accusés et leurs familles.

Justice Pakistan

Recrudescence alarmante des accusations de blasphème

Le Pakistan fait face à une augmentation inquiétante des accusations de blasphème, particulièrement dans la sphère numérique. La législation pakistanaise en la matière prévoit des sanctions draconiennes, allant de l’emprisonnement à la peine capitale, pour toute offense perçue envers l’islam ou le prophète Mahomet. Selon Floyd Brobbel de Voice of the Martyrs Canada, la formulation ambiguë de cette loi permet aisément de transformer n’importe quel propos en accusation de blasphème.

Révélations sur une “industrie du blasphème“

Le 2 février 2025, la Haute Cour d’Islamabad a ordonné la création d’une commission d’enquête pour examiner ce qu’elle a qualifié d' »industrie du blasphème ». Cette commission est chargée d’enquêter sur la collusion présumée entre l’Agence fédérale d’investigation (FIA) et des religieux islamistes visant à piéger des innocents dans de fausses accusations de blasphème. La cour a mandaté la formation d’une commission quadripartite, composée d’un juge à la retraite, d’un ancien haut fonctionnaire de la FIA, d’un érudit religieux et d’un expert en technologies de l’information.

Des groupes de “justiciers” à l’origine des accusations

Plusieurs enquêtes journalistiques ont mis en exergue le rôle de groupes de « justiciers » privés dans la prolifération des affaires de blasphème. Ces groupes, souvent dirigés par des avocats, scrutent la toile à la recherche de contenus potentiellement blasphématoires et engagent des poursuites contre les auteurs présumés. L’un de ces groupes, la Legal Commission on Blasphemy Pakistan (LCBP), affirme être impliqué dans plus de 300 affaires.

Stratagèmes en ligne et motivations financières

Les familles des accusés dénoncent des stratégies de piège en ligne, où de jeunes Pakistanais sont piégés par des inconnus qui les incitent à partager des contenus blasphématoires. Dans de nombreux cas, les victimes sont approchées sur les réseaux sociaux ou via des applications de messagerie, puis incriminées à l’aide de preuves fabriquées. Un rapport de police du Pendjab a révélé qu’un réseau criminel utilisait de fausses accusations de blasphème pour extorquer de l’argent, en collusion avec des agents de la FIA.

Répercussions dévastatrices pour les accusés et leurs proches

Les accusations de blasphème ont des conséquences catastrophiques sur la vie des accusés et de leurs familles. Les prévenus peinent souvent à trouver des avocats prêts à assurer leur défense, et leurs proches sont ostracisés par leur communauté. Nafeesa Ahmed, dont le frère est accusé d’avoir partagé des images blasphématoires sur WhatsApp, témoigne de l’exclusion subie par sa famille et des sacrifices financiers consentis pour faire face aux procédures judiciaires.

La liberté de culte en péril

Les lois sur le blasphème au Pakistan sont vivement critiquées par les organisations de défense des droits humains et de la liberté religieuse, qui dénoncent leur utilisation abusive pour cibler les minorités confessionnelles. Selon Floyd Brobbel, ces lois entravent gravement la liberté de religion et de conviction. La Commission des droits de l’homme du Pakistan (HRCP) a signalé que plusieurs groupes de « justiciers » se livrent à une véritable « chasse aux sorcières » en ligne, fabriquant des preuves de blasphème avec des “motivations occultes“.

Enjeux et perspectives

L’enquête ordonnée par la Haute Cour d’Islamabad représente une opportunité cruciale pour faire la lumière sur les abus liés aux lois sur le blasphème et pour réformer un système judiciaire permettant de telles dérives. La commission d’enquête devra déterminer s’il y a eu des cas spécifiques d’abus des lois sur le blasphème, identifier les moyens et les méthodes utilisés pour ces abus, et désigner les responsables. La cour a également suggéré d’examiner si le financement de la tendance croissante au blasphème en ligne est orchestré, possiblement par des acteurs étrangers.

La transparence des audiences de la commission est primordiale pour garantir la crédibilité de l’enquête et pour encourager les victimes et les défenseurs des droits humains à témoigner. La cour a également invité les plaignants et les membres de groupes religieux à participer aux travaux de la commission, soulignant que l’objectif est de révéler la vérité et non de s’opposer à des individus.

Dans un contexte où les accusations de blasphème sont de plus en plus instrumentalisées pour régler des différends personnels ou pour cibler les minorités religieuses, il est impératif que la justice pakistanaise prenne des mesures concrètes pour mettre un terme à ces abus et pour protéger la liberté de religion et d’expression.

Références

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